VIDEO MODEL 3D
[youtube=https://www.youtube.com/watch?v=dc1htFny3cs&w=320&h=266]
LA FIN DU TIRPITZ
L'Amiral
THÉMATIQUE
25 NOVEMBRE
2016
Depuis le début du réarmement de l’Allemagne par les nazis, la Kriegsmarine a développé de nombreux navires qui sont entrés dans la légende. Entre les U-Boots et le cuirassé Bismarck, un cuirassé pointe son nez : le KMS Tirpitz.
Sister-ship du KMS Bismarck, il est le plus grand cuirassé mis à flot par les nations européennes lors du second conflit mondial. Mais sa technique d’utilisation et la mégalomanie du projet ont considérablement baissé son efficacité, pour le plus grand bonheur des convois alliés.
LE TIRPITZ, UN MONSTRE DE 56 000 TONNES
Le KMS Tirpitz, le sister-ship du Bismarck.
Le cuirassé allemand a quasiment les même caractéristiques que le Bismarck. Long de 251 mètres pour 8,7 mètres de tirant d’eau, c’est un navire aux dimensions hors normes : à tel point que seul un port européen peut l’accueillir, celui de Saint-Nazaire (qui sera ciblé par une attaque commando britannique en 1942). Ses moteurs développent 163 026 chevaux, lui permettant d’atteindre la vitesse de pointe théorique de 30,8 noeuds. Avec ces caractéristiques exceptionnelles, sur le papier, le navire a de quoi effrayer les amirautés alliées, tout en étant l’orgueil du régime nazi.
Son armement est lui aussi impressionnant : 8 canons de 380mm, 12 de 150mm, 16 de 105mm, 16 de 37mm, 12 de 20mm... et 8 tubes lance-torpilles de 533mm. Les parties vitales du navire étaient protégées par un blindage allant de 120mm à 220mm, ce qui le rendait presque impossible à percer pour les obus de l’époque. La ceinture au dessus de la ligne de flottaison atteignait, elle, 320mm de blindage.
Pour résumer en quelques mots : ce cuirassé très rapide et très blindé pouvait atteindre une cible dans l’Atlantique assez facilement avec environ 16 000 kilomètres de rayon d’action à 19 noeuds. Le KMS Tirpitz est donc une menace non-négligeable pour les navires alliés, dont les fameux convois qui ravitaillent le Royaume-Uni.
Ce cuirassé, comme la plupart des navires de haute mer de la Kriegsmarine, est conçu pour croiser dans l’Atlantique. L’Allemagne n’a en effet pas oublié l’impact de sa guerre sous-marine lors du premier conflit mondial, notamment sur les convois vers le Royaume-Uni. Il y a donc une volonté d’accompagner les sous-marins dans un blocus hypothétique mais surtout de pouvoir défier la Royal Navy et la Marine Nationale en haute mer. Capable de croiser dans l’Atlantique à une vitesse plus rapide que celle de ses concurrents, le Tirpitz est donc, comme les autres cuirassés allemands, un pur produit de la machine de guerre nazie.
DES DÉBUTS MOINS OSÉS QUE CEUX DU BISMARCK
Le Tirpitz est livré à la Kriegsmarine le 25 février 1941, mais des modifications doivent encore y être apportées. Il fut ainsi terminé dans le fjord norvégien de Fættenfjord, à la vue des avions de reconnaissance britanniques mais aussi de la résistance norvégienne. Toutes ces informations sont recoupées soigneusement par l’Amirauté de la Royal Navy, qui garde un oeil sur les cuirassés nazis pouvant mettre en doute leur supériorité navale. La flotte britannique de Scapa Flow fut focalisée de longs mois durant sur la surveillance du Tirpitz dans son repaire norvégien.
Sa première opération militaire prend le nom de code de “Sportpalast”. Elle vise le convoi PQ 12 (à destination de Mourmansk, URSS) et le convoi PQ 8 (à destination de Reykjavik).
Du 5 au 9 mars 1942, le Tirpitz accompagné de 5 destroyers va tenter de perturber les convois alliés, mais le mauvais temps (une tempête de neige et un temps brumeux) rend très compliqué le repérage des cargos alliés. Après un parcours erratique et un seul cargo soviétique coulé, le Tirpitz et son escorte retourne à la base sans avoir tiré un coup de canon contre l’escadre de la Royal Navy.
Bien que le bilan soit quasi-nul, l’Amirauté britannique prend conscience du risque que courent ses convois dans l’Atlantique Nord. Les Britanniques renforcent alors leurs opérations de reconnaissance au dessus du mouillage du Tirpitz pour préparer un bombardement. Ce dernier se déroule le 27 avril 1942, mais le mauvais temps et la relative imprécision des bombardiers font que le cuirassé allemand ne subit aucun dégât.
Après la perte du Bismarck, Hitler et l’Amirauté nazie craignent de perdre aussi le Tirpitz. Il est donc cantonné dans son fjord norvégien et n’en sort plus. Mais des opérations sont envisagées pour l’Atlantique : c’est à ce moment que les Britanniques s’intéressent à la forme Joubert du port de Saint-Nazaire, et montent une opération commando pour la détruire.
Le formidable potentiel du Tirpitz n’est donc pas vraiment exploité, à juste titre : la pression de la Royal Navy peut amener à la perte de ce cuirassé, qui serait un coup dur pour la Kriegsmarine mais aussi pour le moral de la population allemande.
UNE CIBLE PRIORITAIRE POUR LA ROYAL NAVY
Un X-craft (opération Source), dernier exemplaire conservé.
Cantonné à son fjord, le Tirpitz n’est plus qu’une menace potentielle pour la Royal Navy. Ses moindres faits et gestes sont observés par la RAF et par la résistance norvégienne. Il mobilise toujours une partie non négligeable de la flotte britannique au port écossais de Scapa Flow.
Une opération est prévue pour le 26 octobre : aidés par un norvégien, des hommes grenouilles doivent déposer des “chariots” près du Tirpitz, dans la rade du fjord. Ces “chariots” sont les premières torpilles humaines, c’est-à-dire des engins sous-marins qui permettent à des plongeurs de poser des charges sous la coque du cuirassé allemand, où son blindage est le plus faible.
Le 26 octobre au matin, le chalutier “Arthur” battant pavillon norvégien part des Shetlands. Les deux “chariots” étaient cachés dans la coque, mais le mauvais temps a endommagé de manière irréparable les engins. L’opération est donc avortée, mais l’idée est conservée, car l’utilisation de plongeurs de combat est la seule option possible pour atteindre le cuirassé allemand au fond de son fjord.
L’Opération Source est lancée le 20 septembre 1943. Les moyens de transport sont radicalement différents des “chariots” : cette fois-ci, les X-crafts, des sous-marins miniatures de 15,5 mètres de long, sont chargés de s’approcher du Tirpitz alors dans le fjord de l’Altafjord. Ils sont équipés de deux charges latérales explosives d’Amatol et accueillent quatre hommes d’équipages (trois pour l’équipage d’attaque).
Ces sous-marins miniatures ont plusieurs cibles, dont les principales sont le Tirpitz et le Scharnhorst. Les X-crafts devaient être emmenés près du fjord par des sous-marins britanniques plus conventionnels : six sous-marins remorquaient six X-crafts, attachés par des cordes en chanvre de Manille. La traversée étant éprouvante dans ce petit sous-marin, les équipages d’attaque sont en réserve dans le sous-marin remorqueur.
Avant l’attaque, l’équipage de la traversée retourne dans le sous-marin principal et l’équipage d’attaque prend place dans ses nouveaux quartiers.
Le plan est simple : les sous-marins miniatures doivent se faufiler dans la rade, se placer sous la coque des deux navires et décrocher leurs charges de deux tonnes : ces dernières sont alors entraînées vers le haut, sous la coque du navire, et explosent à la fin de leur compte à rebours.
La traversée vers le point d’ancrage du Tirpitz est mouvementée, et plusieurs sous-marins X-crafts se détachent et sont retrouvés avec de grosses difficultés.
Le 22 septembre, seuls quatre X-crafts sont lancés à l’attaque : X-5, X-6, X-7 et X-10. Ce dernier, dont la cible est le Scharnhorst, subit une avarie et son commandant rejoint le point de rendez-vous d’évacuation. La mission aurait de toute façon était un échec pour le X-10 : le Scharnhorst avait quitté son mouillage pour aller effectuer des exercices de tir en mer.
Alors que les trois autres X-crafts approchent du Tirpitz, l’alerte est donnée. Le X-5 est coulé, soit par mitraillage soit à cause d’une avarie. Mais les X-6 et X-7 parviennent à contourner les filets anti-torpilles et lâchent leurs charges.
À cet instant, la fuite est impossible : les Allemands se sont rendus compte que des sous-marins avaient infiltré le fjord. Les sous-marins britanniques font alors surface et se rendent après avoir été la cible de tirs allemands. C’est trop tard pour le Tirpitz : le commandant du navire tente de le déplacer car il se doute que des charges ont été posées. Le délai de mise en pression des chaudières étant excessivement long, les charges explosèrent avant que le Tirpitz ne puisse bouger. Le cuirassé allemand subit alors de gros dégâts : il embarqua environ 1400 tonnes d’eau, mais les cloisons étanches ont évité qu’il ne coule. Toutefois, les dégâts sont tels que le navire est inutilisable. Les machineries sont endommagées, et la tourelle arrière (appelée Dora) ne peut plus bouger. Le navire est inopérable et ne peut plus nuire aux convois alliés dans l’Atlantique.
UNE ÉPAVE FLOTTANTE DANS UN FJORD NORVÉGIEN ET L’OPÉRATION TUNGSTEN
Le HMS Victorious d'où sont partis les Fairey Barracuda de l'opération Tungsten.
Grâce à la grande compartimentation des navires allemands, le Tirpitz est encore à flots. Mais la Norvège ne disposant pas de cale sèche, une barge spéciale de réparation est amenée.
Après quelques mois de travaux, le cuirassé allemand est à peu près opérationnel, mais sa coque reste fortement déformée, réduisant sa vitesse. Un remorquage vers le port allemand de Kiel a été envisagé, mais le Tirpitz aurait alors fait une cible trop simple pour les sous-marins britanniques.
Mais dès la fin de l’année 1943, la Bataille de l’Atlantique est perdue pour les nazis. Le Tirpitz ne peut plus renverser le cours de la bataille, et il est alors décidé de le faire naviguer jusqu’à Tromsø, au sud-ouest de sa position première.
Il est alors placé sur un haut-fond aplani exprès : ainsi, si le Tirpitz venait à être gravement endommagé, il ne coulerait pas mais se poserait simplement sur le haut-fond. Il pourrait alors être utilisé comme une forteresse flottante afin de défendre le fjord. Son équipage fut alors morcelé : seuls restèrent à bord les hommes nécessaires pour manier l’armement, le navire étant de toute façon condamné à rester immobile.
Un Fairey Barracuda qui bombarda le Tirpitz.
Le Tirpitz était encore considéré comme une menace par les Alliés, mais aussi comme un symbole de la machine de guerre nazie. Le 3 avril 1944 est lancée l’opération Tungsten, qui a pour but de mettre définitivement hors service le cuirassé allemand. Pour se faire, la Fleet Air Arm (aviation embarquée) de la Royal Navy est mobilisée avec l’utilisation, entre autres, des porte-avions HMS Victorious et HMS Furious. L’opération failli être compromise par une terrible tempête de neige du 30 mars au 2 avril, mais le 3, une éclaircie était prévue, permettant au vice-amiral Bruce Fraser, responsable de l’opération, de lancer l’attaque.
L’attaque relève d’un plan complexe : deux vagues de 21 bombardiers en piqué Barracuda attaqueront le Tirpitz en étant couverts par 80 chasseurs (Wildcat et Hellcat) qui gêneront les tirs de DCA du navire en mitraillant le pont. Les Barracuda sont équipés de plusieurs bombes perforantes allant de 500 à 1600 lb.
Le 3 avril 1944, à 05h28, les premiers appareils britanniques sont détectés et un écran de fumée commence à être disséminé autour du cuirassé allemand. Alors que les Corsair surveillent l’espace aérien, les Wildcat et Hellcat mitraillent à tout-va le pont du Tirpitz pour préparer les bombardements en piqué des Barracuda.
Le Tirpitz sous les bombardements britanniques lors de l'opération Tungsten.
A 6h37, la deuxième vague a fini son bombardement, et le Tirpitz a subi 14 coups direct et 8 probables. Mais les dégats auraient pu être bien plus grands : les bombes de 1600 lb n’ont pour certaines pas explosé car elles ont été larguées de trop basse altitude.
Pour 9 aviateurs britanniques tués, six mois de réparation du Tirpitz ont été annihilés. Le moral de l’équipage est au plus bas mais les infrastructures principales du cuirassé allemand n’ont pas été endommagées. L’équipage a perdu 122 hommes et 316 ont été blessés, dont le commandant du navire. Le Tirpitz est à nouveau obligé d’être réparé, alors que la guerre commence à tourner au grand désavantage des nazis.
LA DESTRUCTION FINALE DU TIRPITZ : L’OPÉRATION CATECHISM
Une bombe Tallboy de 6 tonnes.
Alors que la guerre tourne à l’avantage des Alliés, la Royal Navy n’a pas abandonné son projet de couler définitivement le Tirpitz. Les bombardements précédents n’ont permis que de l’endommager gravement : une dernière opération est prévue le 12 novembre 1944.
Les grands moyens sont de sortie : des bombardiers Avro Lancaster décolleront d’un aéroport soviétique près de Mourmansk pour se ravitailler et embarquent des bombes Tallboy de 6 tonnes. Ces bombes ont un pouvoir de destruction énorme : elles sont conçues pour exploser après avoir percé la cuirasse du Tirpitz.
Les trente Avro Lancaster vont alors attaquer le navire : deux bombes Tallboy percent le pont et une explose près de la soute à munitions. Une énorme explosion retourne alors le navire et tue 971 hommes sur les 1900 de l’équipage (certains furent sauvés en découpant la coque retournée). Le cuirassé Tirpitz est inutilisable, et avec lui disparaissent les derniers rêves de la suprématie navale nazie.
Le Tirpitz, retourné après le bombardement du 12 novembre 1944.
Pour conclure, le Tirpitz était un projet extrêmement ambitieux. Bien utilisé, il aurait pu infliger de lourds dégâts aux convois alliés se dirigeant vers Mourmansk, en URSS. Mais le gigantisme des ingénieurs nazis a été son principal ennemi : avec seules deux cales sèches assez grandes pour l’accueillir, le Tirpitz était extrêmement vulnérable. La neutralisation de la forme Joubert du port de Saint-Nazaire lui a retiré une possibilité de réparation, et le voyage vers le port de Kiel aurait été trop risqué.
Condamné à errer dans les fjords de Norvège, le fauve de la Kriegsmarine n’a pu que montrer ses crocs. L’obstination de la Royal Navy et son ingéniosité fit que le Tirpitz a été grandement sous-utilisé par la Kriegsmarine. Le bombardement du 12 novembre 1944 sonne le glas de ce monstre marin, qui n’a pas eu le résultat escompté dans la bataille de l’Atlantique.
Ferraillé par les Norvégiens après-guerre, seul le souvenir des marins et aviateurs décédés lors de ces opérations subsiste. Ainsi que l’ampleur de la démesure nazie.
SOURCES :
· « Coulez le Tirpitz ! », revue Avions, no 129.
· Léonce Peillard, Coulez le Tirpitz !, Éditions Robert Laffont, 393 pages.